DIAGNOSTIC DE PANNE

PUISSANCE DEDUCTIVE DE LA LOGIQUE DES FLUX

 

 

I - PREAMBULE

 

Aujourd'hui, pour qu'un technicien soit capable de dépanner une machine un peu complexe, il faut qu'il soit un spécialiste de cette machine ou qu'il dispose d'une bonne documentation. Dans les deux cas, il travaille sur plan: plan situé dans sa tête ou dessiné sur le papier. Les méthodes actuelles conçues pour l'aider sont peu nombreuses: formation, documentations, AMDEC, arbres de défaillances. Toutes ces méthodes ont malheureusement le défaut reconnu de demander beaucoup de travail en mise au point et en mises à jour, et de demeurer de toute façon incomplètes pour l'aide au diagnostic de panne.

 

Pourquoi ne pas proposer au technicien une méthode beaucoup plus simple qui s'appuierait au maximum sur ses aptitudes naturelles au diagnostic ? Il en existe une pourtant, encore peu connue mais extrêmement puissante: c'est la méthode des grilles de flux, qui s'appuie sur notre logique de tous les jours.

 

 

II - LA LOGIQUE DES FLUX

 

Toute machine, quelle que soit sa technologie, a une fonction globale résultant elle-même des fonctions de ses composants. Cette fonction produit des flux (du latin "fluxus": qui s'écoule). Tester une fonction, c'est mesurer les flux qu'elle produit. Par exemple: tester la fonction d'une pompe c'est tester le flux qu'on en attend, à savoir un débit (et/ou une pression) suffisant. Le fonctionnement d'une machine peut donc se représenter uniquement par l'ensemble des flux qui la parcourent.

 

Pour trouver l'origine d'une panne, on a le choix entre simuler le bon ou le mauvais fonctionnement de la machine. Choisir de simuler le bon fonctionnement est un travail exigeant, surtout dès que l'on aborde des composants complexes, comme un automate ou un microprocesseur par exemple. Cela revient à décrire le programme qui l'anime. C'est aussi et surtout une démarche contre nature. En effet, quand on est en situation de panne, le problème est simple: on part d'une panne bien définie qui a mis la machine dans un état donné et on remonte un flux défaillant figé, de composant en composant, jusqu'au composant d'origine (lequel ne reçoit pas de mauvais flux). Ne représenter sur papier que la remontée de flux défaillants est donc beaucoup plus facile. Pour construire le guide de diagnostic de panne d'une machine, on peut se contenter de décrire ses flux défaillants, avec leurs relations de causes à effets s'exerçant au sein de chaque composant.

 

 


 

III - LA GRILLE DE FLUX

 

La méthode la plus simple pour représenter des relations de causes à effets, c'est la grille de décision. Chaque composant a sa grille, avec les flux amont en entrée, les flux aval en sortie et des croix aux intersections pour matérialiser les relations de causes à effets entre flux sortie et flux entrée. Voilà ci-dessous un exemple de grille de flux, représentant une pompe à eau:

 

 

                                                                  DEFAUTS SORTANTS

 

        POMPE             Débit=nul   Débit=faible   Débit=trop fort   Débit hors demande

Alim électrique = O V ....... X     

Alim électrique<150 V ......................... X

Alim électrique>250 V ................................................. N          

 Alim à 220 V alors

que pas de demande ................................................................................. N

 

Cette pompe présente deux phases de fonctionnement: une demande de débit, lequel peut se révéler nul, faible ou trop fort, et une demande d'arrêt du débit, qui peut se révéler inopérante.

 

Les "X" et "N" placées dans la grille indiquent une relation possible de cause à effet entre un certain état du débit pompe (en colonne) et un certain état de l'alimentation (en ligne). Le fait d'avoir coché "X" signifie que le défaut sortant correspondant peut provenir du défaut entrant marqué sinon se sera du composant lui-même. Le "N" signifie que le composant ne peut pas provoquer ce défaut et donc que l'origine du défaut est obligatoirement externe (voir la 5ème loi ci-dessous). Cela permettra d'éviter un test inutile. Dans cette grille, si le débit est trop fort, c'est que la pompe a reçu une alimentation trop forte. On vient d'économiser le test de l'alimentation.

 

Comment raisonner sur une telle grille au cours d'un diagnostic de panne ? Tout d'abord, remettons-nous en tête ces 5 lois que nous connaissons tous d'instinct:

 

1ère loi - Un composant est défaillant s'il en sort un flux défaillant alors que ses flux entrants correspondants sont bons

2ème loi - Quand un flux défaillant est constaté, il faut rechercher la panne en amont, jamais en aval

3ème loi - Lorsque tous les flux sortants d'un composant sont bons, le composant est bon

4ème loi - Quand un flux sortant de composant un bon, ses flux entrants correspondants sont bons

5ème loi - Quand un flux sortant défaillant ne peut pas être produit par le composant, c'est un des flux entrants correspondants qui est défaillant

 

 

 

Avec ces 5 lois et la logique de tous les jours, voilà les règles de diagnostic de panne qui découlent immédiatement de la lecture de la grille POMPE ci-dessus (<> signifie "différent de"):

 

1) SI débit=nul ET alim<>0 V (c-à-d DIFFERENT DE 0V) ALORS pompe en panne

2) SI débit=faible ET alim<>(<150 V) ALORS pompe en panne

3)  SI débit<>nul ET <>faible ET <> trop fort ALORS débit=normal

4) SI alim<>0 V ET <> (<150 V) ET alim <> (>250 V) ALORS alim=normale

5) SI pas de débit hors demande ALORS débit hors demande normal

6) SI pas d'alim à 220 V alors que pas de demande ALORS alim hors demande normale

7) SI débit=normal ET pas de débit hors demande ALORS pompe pas en panne

8) SI débit=trop fort ALORS alim>250 V

9) SI débit hors demande ALORS alim à 220 V alors que pas de demande

10) à 12)SI débit= nul ALORS débit<> faible ET débit<>normal ET débit<>trop fort

13) à 15) SI débit= faible ALORS débit<> nul ET débit<>normal ET débit<>trop fort

16) à 18) SI débit= normal ALORS débit<> nul ET débit<>faible ET débit<>trop fort

19 à 21) SI débit= trop fort ALORS débit<>nul ET débit<>faible ET débit<>normal

22) SI débit<>nul ALORS alim<>0 V

23) SI débit<>faible ALORS alim<> (<150 V)

24) SI débit<>trop fort ALORS alim<>( >250 V)

25) SI débit<>nul ET <>faible ET alim=220 V ALORS débit=normal

26) SI débit<>nul ET <>faible ET alim>250 V ALORS débit=trop fort

27) SI débit<>nul ET <>faible ET alim à 220 V alors que pas demande ALORS débit hors demande

28) SI alim<>(>250 V) ALORS débit <>trop fort

29) SI pas d'alim à 220 V alors que pas de demande ALORS pas de débit hors demande

 

29 règles de diagnostic: c'est l'étendue de la connaissance certaine qui se génère automatiquement de la lecture de cette grille ultra-simple. Voilà comment s'exprime toute la puissance déductive de la logique des flux.

 

 

IV - COMMENT MENER UN DIAGNOSTIC AVEC LES GRILLES DE FLUX ?

 

Pour bâtir l'aide au diagnostic, il faut créer une grille de flux par élément dépannable. Dans le libellé de chaque flux, on met le nom du composant d'où il sort. Ex: "Le débit en sortie Pompe 1 = faible". Ainsi, un flux qui parcourt toute la machine change de libellé à chaque composant, donc de test. Une fois ce travail terminé et une défaillance constatée, celle-ci est automatiquement associée au composant d'où elle sort. On tient donc le flux sortant et la grille d'où il faut partir. On cherche alors s'il y a un flux entrant responsable du défaut. S'il y en n'a pas, c'est que ce composant est à l'origine de la panne et que le diagnostic est terminé. S'il y en a un, ce nouveau flux indique la grille amont et sa colonne à analyser. Et ainsi de suite jusqu'au composant ayant tout bon en entrée... Peut-on imaginer méthode (efficace) plus simple ?

 

 

 

IV - LA GRILLE DES FLUX, C'EST AUSSI UNE METHODE GENIALE DE LUTTE CONTRE LES OUBLIS ET LES INCOHERENCES

 

En créant la grille d'un composant, on peut penser à un flux produit par ce composant mais oublier par la suite d'en décrire les effets ou les causes sur d'autres composants. Heureusement, cette anomalie saute aux yeux dans une grille: cela se traduit en effet par une colonne ou une ligne vide, sans croix ni "N".

 

- 1er cas d'oubli: oubli d'un défaut sortant

 

                                                                  DEFAUTS SORTANTS

 

          POMPE                Débit=nul    Débit=faible    Débit=trop fort

                                                                                                   

Alim électrique = O V    ........ X     

Alim électrique<150 V   ........................... X

Alim électrique>250 V   .................................................... N          

Eau trop acide            .................................... ?

 

Ici, on a visiblement oublié un défaut sortant: "Eau trop acide en sortie pompe"

 

- 2ème cas d'oubli: oubli d'un défaut entrant

 

                                                                  DEFAUTS SORTANTS

 

          POMPE             Débit=nul    Débit=faible    Débit=trop fort    Débit instable

                                                                                                          

Alim électrique = O V ........ X     

Alim électrique<150 V ........................... X                                                ?

Alim électrique>250 V .................................................... N          

 

Là, on a visiblement oublié "Alim instable" en sortie grille ALIM (donc en entrée grille POMPE)

 

- 3ème cas d'oubli: oubli d'un flux ou d'un état du flux

Considérons cette grille:

 

          POMPE               Débit=nul     Débit=faible

                                                                            

Alim électrique faible   .......... X ................. X        

 

La logique y est baffouée: un débit nul, qui ne peut coexister avec un débit faible, peut pourtant avoir la même cause ! Une même cause ne pouvant avoir deux effets exclusifs, il y a là oubli d'un état du flux entrant. Il faut ajouter "Alim nulle", et même éventuellement "Alim très faible", qui sont les seuls états de l'alim à pouvoir expliquer le débit=nul. Heureusement, deux croix côte à côte sur un même flux, c'est une erreur qui se voit facilement.

 

V - LES AUTRES INTERETS DE LA LOGIQUE DES FLUX

 

1) Mises à jour plus rares que les méthodes basées sur les causes - Si, au cours des réparations, les composants sont remplacés par d'autres de technologies différentes, les causes de panne internes à ces composants ont changé, mais pas les grilles de flux: elles demeurent identiques car les flux externes produits demeurent identiques.

 

2) Localisation progressive de la défaillance - On a intérêt à ajouter aux grilles des composants de base des grilles regroupant géographiquement ces composants, puis des grilles regroupant ces grilles, jusqu'à la grille de la machine elle-même, en collant à sa nomenclature. Ces nouvelles grilles se déduisent facilement des grilles qui les composent. Le diagnostic pourra alors être mené par localisation progressive descendante: on partira de la grille de la machine pour vérifier si elle est bien en panne (sinon c'est un problème d'environnement), puis on cherchera sa sous-grille causant la défaillance, puis la propre sous-grille de celle-ci, jusqu'à trouver la grille du composant de base. Cette méthode permet au technicien de ne pas analyser des grilles plus longtemps que nécessaire. Il s'arrêtera dès qu'une grille correspondra à un lieu bien connu de lui. Cette démarche par sauts permet aussi d'aller plus vite.

 

3) Avec la logique des flux, un expert de la machine n'est pas nécessaire pour élaborer une aide au diagnostic capable de résoudre 80 à 90 % des causes de panne - En effet, pour bâtir les grilles correctement, il suffit de savoir lire les plans de la machine et de comprendre le fonctionnement de ses composants. La connaissance de certains défaillances rares manquera probablement au départ (pannes aléatoires par exemple), mais, dès qu'elles se présenteront et que leur origine sera détectée, la mise à jour des grilles correspondantes en conservera définitivement la mémoire.

 

4) Rapidité du diagnostic - Certains tests sont plus rapides à faire que d'autres. Et en premier ceux qui relèvent du "capteur humain": visus, bruits, odeurs, fuites, aspects, couleurs, etc... Si l'on affecte à chaque flux une priorité exprimant la rapidité de son test (et pourquoi pas également sa probabilité plus grande, son coût inférieur, sa faible exigence en qualification du technicien, etc...), les tests d'un flux donné dans un composant donné - et non pas dans l'ensemble de la machine - peuvent s'effectuer dans un ordre obéissant aux critères décidés par l'entreprise. Exemple:

 

          POMPE                               Débit=nul       Débit=trop fort

    PRIORITE                                                                        

                        Alim électrique = O V ........................ X     

          (3)          Alim électrique<150 V................................................

                        Alim électrique>250 V ................................................ N

 Alim à 220 V alors

que pas de demande  ................................................          

          (1)          Pas d'eau en entrée pompe ................. X

          (2)          Circulation d'eau en entrée:

 = nulle (c-à-d bouchée) ..................... X

 = faible (presque bouchée) ............................................               

          (4)          Pression d'eau trop élevée ............................................ N      

 

 

En lisant cette grille, le technicien saura qu'en cas de débit nul en sortie pompe il faut commencer par tester en entrée la présence d'eau, puis la circulation, pour finir par le test de l'alimentation si les tests précédents sont négatifs.

 

5) Conservation aisée de la connaissance et saisie de plus en plus rapides - Dès qu'une grille est élaborée pour un organe donné, elle demeure valable pour toutes les machines utilisant cet organe. A force de travailler avec les grilles de flux, il n'y aura bientôt plus pour décrire une machine nouvelle qu'à assembler des grilles existantes.

 

6) Le multi-panne - La logique des flux permet de détecter des pannes simultanées sans qu'il soit nécessaire de les réparer au fur et à mesure pour pouvoir continuer le diagnostic. Il suffit de remonter tous les flux défaillants jusqu'à leur origine. L'ensemble des composants en panne est alors localisé, puis réparé. On économise ainsi plusieurs démontages-remontages mais, attention, on consomme plus de tests car plusieurs flux défaillants ont souvent la même origine.

 

7) Le conditionnel - La logique des flux s'avère tout aussi valable quand la machine fonctionne bien mais que, lors d'un entretien préventif, on détecte des flux s'écartant de leur valeur nominale. Dans les grilles, les états des flux sont alors des dérives au lieu de pannes franches.

 

8) Pédagogie des grilles de flux - La grille de flux est un outil simple à comprendre. Elle montre avec clarté le comportement réel du composant et de la machine. Représenter une machine par les grilles de flux montre aussi si l'on a compris le fonctionnement de la machine. Il ne faut donc pas hésiter à l'utiliser en formation.

 

 

VI - LES POINTS FAIBLES DE LA LOGIQUE DES FLUX

 

1) Nécessité de terminer toutes les grilles de composants de base avant d'avoir un outil opérationnel - En effet, s'il en manque une, c'est tout un ensemble d'aiguillages qui manque pour remonter les flux défaillants.

 

2) Impossibilité d'utiliser des flux qui ne peuvent être testés - Certains flux sont difficilement testables: bits transitant sur un bus informatique, flux régulés trop rapidement pour qu'un technicien puisse avoir le temps de les mesurer, composants fragiles que l'on ne peut tester en situation de fonctionnement (méthode de test imposée par la logique des flux) car on risquerait de les détériorer, machines que l'on veut diagnostiquer sans démontage (C'est le problème des SAV, qui doivent cerner la panne avant de se déplacer, en posant des questions au client par téléphone).

 

3) Temps de saisie "long" - C'est vrai dans l'absolu pour décrire la première machine. Mais il s'agit d'un faux problème si l'on a vraiment l'intention de construire une aide au diagnostic de panne opérationnelle. Il est évident que parcourir les plans d'une machine complexe, réfléchir sur les noms donnés aux flux et décrire tous ses composants pour la première fois prendra un certain temps (1 mois/homme environ pour un matériel comportant 100 éléments dépannables). On peut cependant difficilement imaginer méthode plus rapide. Quelle que soit la solution, il faudra bien au minimum diviser la machine en composants, imaginer leur fonctions, déterminer les défaillances et établir les relations entre les défaillances. Or, la logique des flux ne demande rien de plus. Pour les machines suivantes, le travail sera de plus en plus rapide car on aura de plus en plus recours à des grilles déjà créées. Et que coûte un mois de développement au regard des précieuses heures de panne qu'il aura évitées ?

 

 

VII - CONCLUSION

 

Comme il s'agit d'une méthode très visuelle et naturelle, la logique des flux et ses grilles présentent un autre intérêt: elles sont faciles à informatiser, en ajoutant des schémas et des plans scannés montrant les différentes zones de la machine.